• Fukushima et autres monstres

    Fukushima et autres monstres

         Ce qui se passe en ce moment à Fukushima, on le sent bien, n'est pas un énième accident "de routine", à faire oublier ou même à cacher aux populations. On se demande aujourd'hui surtout si les employés restés sur place et surexposés (voire promis à la mort) vont réussir à éviter l'explosion des réacteurs. Mais ce qui se passe amène à d'autres réflexions, qui sont d'ailleurs la suite logique de cette angoisse qui nous prend devant la catastrophe lointaine. On savait déjà que ces énormes réacteurs à matière radioactive, ces centres de retraitement où la retraite peut durer des milliers d'années, ces bombes qu'utilisent les armées, tous ces instruments peuvent rendre inhabitables les villes, les forêts, les endroits où nous vivons, les rayer de la carte avec les espèces animales et végétales. Ou plus sûrement contaminer l'eau qu'on boit, les champignons qu'on mange, la terre qu'on cultive, l'air, rendre dangereuses ces choses que nous connaissons, mais de manière invisible. Tout cela dans les mains de cabinets restreints de super-gestionnaires, qu'ils soient à la tête d'États, de groupes économiques ou de centres d'expertise. On savait qu'en cas de défaillance dans leurs installations "à la pointe", nous tous, les populations, nous n'aurions qu'à assister impuissants au réveil du monstre, à chercher des informations à chaque instant (en sachant bien quels intérêts sont en jeu derrière les communiqués et les discours médiatiques), à attendre des États des mesures plus ou moins dérisoires pour protéger leurs citoyens (ou les rassurer). Que notre place donc serait d'attendre et d'assister, d'enrager parfois. Ce cauchemar  facile à oublier au quotidien, Tchernobyl pouvait nous les rappeler.

         Mais voilà qu'à nouveau ils ont perdu le contrôle de leurs machins (ce qui ne peut qu'arriver, tous les 25 ans ou tous les 3 ans ou tous les 100 ans), et nous avons peur, partout et tout le temps puisqu'il n'y a pas de moyen d'être protégé. Les super-gestionnaires tremblent aussi devant ce monstre qui se réveille. Pas tant pour l'air et les espèces végétales qu'en raison de ces émotions qui pourraient exploser : que c'est insupportable, ces gens qui restent au chaud à leur place alors que le monde qu'ils ont fabriqué et imposé montre son horreur.

          On a déjà tellement entendu leurs berceuses. Et pas si loin de nous, depuis peu, d'autres voix nous viennent : des peuples en ont assez de leurs chefs et de leurs régimes et des décisions qu'on prend à leur place. La Tunisie, l'Egypte, le Yémen, le Bahreïn sont bien capables de nous inspirer. Ils montrent que les peuples ont assez d'intelligence, d'inspiration, de capacité pour faire le choix de l'imprévisible, du non-habituel, pour prendre des décisions et les mettre en pratique, au défi des politiciens, des clans économiques, des experts, des appareils policiers.

         Cette force de se mettre en route, nous pourrions l'avoir aussi. Nous avons même eu des exemples avec le mouvement sur les retraites : des solidarités nouvelles, des chômeurs ou des profs qui viennent aider les grévistes à bloquer leur raffinerie, la pénurie d'essence, des manifs jusque sur l'île d'Ouessant. La croyance que ce qui nous paraît juste est possible. Mais aujourd'hui, il ne s'agit plus des retraites : la catastrophe de Fukushima nous touche à même la vie. Sans attendre, nous voulons sortir de chez nous, parler, secouer.

         Forcer les puissants à arrêter leur délire nucléaire serait un bon début, et pourrait donner à l'inspiration populaire un espace où s'épanouir, puisqu'il faudra trouver comment vivre sans les centrales. Les gens, d'ailleurs, ont déjà bien des idées, des attaches, des manières de vivre à opposer à la civilisation nucléaire. Il est encore temps de renverser les nucléocrates.

    T.


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 19 Janvier 2012 à 12:13
    j'aime ce que vous ecrivez
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